BEYROUTH (AFP) - On la surnommait la "Voix en or". Plus de 60 ans après sa mort tragique au faîte de sa gloire, la diva arabe Asmahane, rivale de la célébrissime Oum Kalsoum, est l'héroïne d'un feuilleton qui passionne le public arabe, conquis par celle qui a osé briser tous les tabous.
Asmahane, de son vrai nom Amal al-Atrache, buvait, fumait, jouait, enchaînait les liaisons amoureuses et s'était même fait avorter, des comportements qui choquent encore aujourd'hui dans le monde arabe.
Issue d'une famille d'émirs druzes de Syrie, cette princesse a également osé, dans les années 1930, demander le divorce d'avec son cousin, l'émir Hassan al-Atrache, pour se consacrer au chant.
A l'occasion du ramadan, saison où l'audimat monte en flèche, le feuilleton éponyme, réalisé par le Tunisien Chawqi al-Majri, fait un tabac auprès des téléspectateurs arabes.
"C'est un feuilleton courageux. Il a touché à un sujet tabou concernant la vie" d'Asmahane, estime Nejib Ayed, un producteur tunisien.
"C'est de l'inédit sur les écrans arabes", renchérit Rabeb al-Mansouri, une étudiante tunisienne qui apprécie "les révélations sur la vie tumultueuse de la diva adorée", interprétée par la star syrienne Soulaf Fawakhirji.
"C'est assez audacieux d'avoir montré des détails de la vie de la famille al-Atrache. Les druzes sont une société secrète et réservée, ils n'aiment pas se dévoiler", affirme Najla Saab, une druze libanaise de 80 ans.
Au milieu des années 20, Asmahane et sa famille fuient la Syrie, où une révolte fait rage contre le mandat français, pour Le Caire, où la princesse est initiée par sa mère à l'art du chant, aux côtés de son frère, le célèbre musicien et chanteur Farid al-Atrache.
Très vite, les plus grands musiciens de l'époque, dont des compositeurs pour Oum Kalsoum, sont aux pieds de cette cantatrice mélancolique à la voix cristalline et fluide. Grâce à eux, elle alliera le classicisme du chant arabe avec la modernité musicale occidentale.
"A 14 ans seulement, elle chantait à l'Opéra du Caire, il faut le faire!", dit Najla, qui parle d'une "voix et d'une personnalité uniques".
Si la vie dissipée d'Asmahane passionne les foules arabes, sa propre famille n'a guère apprécié la façon dont elle est présentée à l'écran.
Deux neveux ont eu recours à la justice en Egypte "pour atteinte à la famille", mais ont été déboutés.
S'inspirant du livre d'un auteur égyptien, "Asmahane: le jeu de l'amour et des services de renseignements", le feuilleton révèle des détails intimes de la vie de la chanteuse, notamment sa relation avec Ahmad Hassanein Pacha, chef du cabinet royal du roi Farouk d'Egypte.
Il dresse également un portrait peu flatteur de son frère aîné Fouad. Refusant son métier qui "déshonorait" la famille, celui-ci la frappait ou lui soutirait de l'argent.
Le comportement de l'autre frère, Farid, musicien sensible sans véritable pouvoir sur sa soeur, est également jugé inacceptable dans une société machiste. L'un des producteurs, le Syrien Firas Ibrahim, a affirmé à ce propos à l'AFP que la famille al-Atrache avait demandé au ministère syrien de l'Information d'interdire la série. Cette requête a été rejetée, selon lui.
Mais c'est surtout son rôle d'espionne pour le compte des services de renseignements britanniques afin de lutter contre la France de Vichy et l'Allemagne nazie, puis au service de la France gaulliste, qui intrigue.
Et sa mort prématurée en 1944, dans un accident de voiture dont les circonstances n'ont jamais été élucidées, ajoute au mystère. Certains ont même insinué une implication d'Oum Kalsoum dans sa mort, intervenue à l'âge de 27 ans.
Controverse mise à part, les téléspectateurs semblent apprécier le fait que le feuilleton ne glorifie ni n'avilie le personnage.
"Son histoire est fantastique. Asmahane n'est ni ange ni démon, elle est humaine", affirme Haya, journaliste syrienne de 27 ans.
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